L’histoire du prêt d’argent et du crédit est aussi ancienne que celle de la civilisation humaine. Dès que les sociétés ont développé des systèmes de production et d’échange, le besoin de prêts et de crédits est apparu, permettant aux individus et aux communautés de financer des activités, de pallier des crises et de stimuler le commerce. Cette histoire complexe, faite de pratiques et de transformations, reflète les évolutions économiques, sociales et culturelles des civilisations.
1. Les premiers systèmes de crédit dans l’Antiquité
- Mésopotamie et Égypte (3000 av. J.-C.) : Les premiers enregistrements de prêts remontent aux civilisations mésopotamiennes, où des tablettes d’argile gravées mentionnent des emprunts de grains et de bétail, souvent pour des agriculteurs en période de semailles. Dans le code d’Hammurabi (vers 1750 av. J.-C.), plusieurs lois régissent les pratiques de prêt, les taux d’intérêt, et les sanctions en cas de défaut de paiement. En Égypte, les contrats de prêt étaient également courants, souvent basés sur des échanges de biens plutôt que d’argent.
- Grèce antique : Les Grecs ont développé des systèmes de prêt pour le commerce maritime, permettant aux marchands de financer des expéditions commerciales risquées. Ils utilisaient des « contrats maritimes » qui incluaient des prêts à intérêt, calculés en fonction des risques encourus. Ces prêts n’avaient d’intérêts que si le navire arrivait à destination, ce qui était une première forme d’assurance.
- Rome antique : Les Romains avaient une culture bien établie de prêt d’argent, où le taux d’intérêt était réglementé. Le système bancaire romain était sophistiqué pour l’époque, avec des prêteurs publics et privés, et des dispositifs juridiques pour encadrer les dettes. Cependant, les pratiques de prêt étaient souvent sources de tensions sociales, les taux d’intérêt élevés entraînant des cycles d’endettement chronique chez les plus pauvres.
2. L’essor du crédit au Moyen Âge
- Interdiction de l’usure : Pendant le Moyen Âge, l’Église catholique a décrété que l’usure, c’est-à-dire le fait de prêter de l’argent contre intérêts, était un péché, car cela était considéré comme une exploitation des plus pauvres. Cependant, le besoin de crédit restait important pour financer les entreprises commerciales. Ainsi, des prêteurs juifs ont souvent exercé cette activité, car ils n’étaient pas soumis aux mêmes interdictions religieuses que les chrétiens.
- Monts-de-piété : En Italie, au XVe siècle, les moines franciscains ont créé des « monts-de-piété », des institutions de prêt qui proposaient de petites sommes d’argent contre la mise en gage d’objets de valeur. Ces institutions avaient pour objectif de fournir des prêts sans usure pour protéger les pauvres des prêteurs abusifs. Ce système s’est répandu dans toute l’Europe et est considéré comme une des premières formes de crédit social.
- Banques et lettre de change : Avec le développement du commerce international, les marchands européens ont mis en place des lettres de change, un instrument financier permettant de transférer des fonds d’une ville à une autre sans transporter de l’argent liquide. Ce système, né en Italie, a permis l’expansion de banques commerciales à Venise, Florence et Gênes, où des familles comme les Médicis ont joué un rôle central.
3. Les révolutions bancaires et le développement du crédit à l’époque moderne
- Les premières banques modernes : Au XVIIe siècle, les premières banques modernes sont fondées en Europe, notamment la Banque d’Angleterre en 1694. Ces institutions commencent à offrir des prêts non seulement aux marchands, mais aussi aux gouvernements, pour financer des guerres et des infrastructures. Cela marque le début de la finance publique moderne, où les gouvernements empruntent sur les marchés financiers.
- Les emprunts d’État : Le développement de la dette publique permet aux États de lever de grandes sommes d’argent en émettant des obligations. Cela devient un outil clé pour financer les guerres, les infrastructures, et les dépenses publiques. La confiance dans ces institutions financières permet d’attirer des investisseurs, et le système de crédit s’étend rapidement à travers l’Europe.
- La révolution industrielle et le crédit bancaire : Au XIXe siècle, la révolution industrielle stimule une demande accrue de capitaux pour financer les nouvelles usines, chemins de fer, et autres infrastructures. Les banques commerciales commencent à offrir des prêts à grande échelle aux entreprises, et des systèmes de crédit hypothécaire émergent pour permettre aux individus d’acheter des propriétés. Les banques deviennent essentielles dans la création de richesse et dans l’accès au capital pour les entreprises.
4. Le XXe siècle : démocratisation du crédit et émergence du crédit à la consommation
- Après la Grande Dépression : La crise de 1929 et la Grande Dépression qui s’ensuit marquent un tournant dans l’histoire du crédit. Aux États-Unis, le gouvernement adopte des réformes bancaires pour réguler le secteur et protéger les consommateurs. Ces régulations visent à éviter les abus de crédit qui avaient contribué à la crise économique.
- Le boom de l’après-guerre : Après la Seconde Guerre mondiale, la demande de biens de consommation explose, et les banques introduisent le crédit à la consommation pour permettre aux individus d’acheter des voitures, des électroménagers, et des maisons. Les cartes de crédit font leur apparition dans les années 1950, d’abord avec la carte Diners Club, suivie de la carte American Express et des cartes bancaires comme Visa et MasterCard, qui rendent le crédit plus accessible.
- Émergence des prêts hypothécaires et du crédit immobilier : Dans les années 1970-1980, les prêts hypothécaires se généralisent, permettant à de plus en plus de ménages de devenir propriétaires. En parallèle, les gouvernements encouragent la déréglementation financière pour stimuler la concurrence, rendant le crédit plus accessible que jamais.
5. Le XXIe siècle : une expansion mondiale du crédit et ses enjeux
- Crédit numérique et FinTech : L’essor de la technologie transforme les systèmes de crédit. Les FinTechs (entreprises technologiques financières) introduisent des solutions de microcrédit, de prêts entre particuliers (peer-to-peer lending) et de crédit en ligne rapide, bouleversant les modèles bancaires traditionnels. Aujourd’hui, des algorithmes et des scores de crédit numériques sont utilisés pour évaluer la solvabilité des emprunteurs, permettant un accès plus rapide au crédit.
- Crises et régulation accrue : La crise financière de 2008, provoquée par les prêts hypothécaires à risque (subprimes), met en lumière les dangers d’un crédit trop accessible et mal régulé. Cette crise entraîne une récession mondiale et pousse les gouvernements à renforcer la réglementation du secteur financier pour éviter de futurs abus.
- Inclusion financière : Le crédit devient aussi un outil d’inclusion financière. Dans de nombreux pays en développement, des initiatives de microcrédit permettent à des millions de personnes sans accès aux banques traditionnelles de financer des projets ou de créer des entreprises. Le microcrédit, popularisé par le prix Nobel Muhammad Yunus et la Grameen Bank, devient un modèle pour lutter contre la pauvreté.
6. Les perspectives d’avenir
Aujourd’hui, le crédit continue d’évoluer, avec l’émergence de nouvelles formes de prêt, comme le financement participatif (crowdfunding) et les cryptomonnaies, qui modifient encore les pratiques de prêt et d’emprunt. Ces innovations facilitent l’accès au crédit, mais soulèvent également de nouvelles questions éthiques et de régulation. Les défis à venir incluent la gestion des dettes des particuliers, la lutte contre le surendettement et la régulation des nouvelles formes de crédit.
L’argent est l’argent, quelles que soient les mains où il se trouve. C’est la seule puissance qu’on ne discute jamais. Alexandre Dumas
Le prêt d’argent et le crédit sont donc des pratiques anciennes et profondément ancrées dans les sociétés humaines, ayant évolué avec les besoins économiques et les transformations culturelles. Ils jouent aujourd’hui un rôle fondamental dans les économies modernes, en stimulant la consommation, en facilitant l’investissement, et en permettant aux individus d’accéder à des biens et services essentiels. L’histoire du crédit est aussi celle de la quête d’équilibre entre l’accès aux ressources et la gestion des risques économiques.