1. Du rivage lacustre à l’échoppe médiévale
Aux débuts de la Genève médiévale, l’actuelle rue du Rhône n’était encore qu’un sentier de grève, alternant bancs de galets et herbus clairsemés le long du lac Léman et de l’embouchure du Rhône. Enserrée par les murailles édifiées aux XIᵉ–XIIᵉ siècles, cette « rive » servait surtout de passage sommaire pour les bateliers et de lieu de stationnement pour les gabares transportant marchandises et matériaux de construction.
2. Urbanisation progressive et premières maisons (XVIᵉ–XVIIIᵉ siècles)
L’expansion de la cité hors des remparts, amorcée dès le XVIᵉ siècle, transforme peu à peu ce trajet lacustre en voie carrossable. Des maisons à colombages et des entrepôts de bois et de fourrage apparaissent ponctuellement, tandis que des échoppes artisanales – forges, maréchaux-ferrants, moulins à farine – profitent de la proximité de l’eau et des voies fluviales. À la fin du XVIIIᵉ siècle, on dénombrait déjà plusieurs entrepôts de blé et halles à foin destinées à la subsistance de la population urbaine.
3. Marché aux chevaux et activités rurales (XVIIᵉ–XIXᵉ siècle)
De la fin du XVIIᵉ jusqu’au début du XIXᵉ siècle, la rue joue un rôle central dans l’approvisionnement en fourrage et en bétail. Les maquignons genevois s’y donnent rendez‑vous chaque matin : les charrettes chargées de foin, de paille et d’avoine défilent sur le pavé, tandis que les éleveurs négocient la vente de chevaux de trait et de selle. Ce marché, informel mais réputé, contribuera longtemps à la vie populaire du bord du lac.
4. Grands travaux du XIXᵉ siècle et naissance du quartier bancaire
La démolition des halles de Longemalle (vers 1830–1840) ouvre l’horizon vers l’est, permettant d’étendre la voirie jusqu’à la place de Rive. À cette occasion, la chaussée est élargie et pavée, et des trottoirs maçonnés remplacent les anciens sentiers. En 1859, l’installation de la toute première banque « moderne » à l’angle de la rue du Rhône et de la rue de la Confédération inaugure la vocation financière du secteur. D’autres établissements suivent rapidement, formant ce que l’on appellera bientôt le « quartier des banques ».
5. Haussmannisation genevoise et façades cossues (fin XIXᵉ siècle)
Inspirés par les percées parisiennes, les entrepreneurs et architectes genevois lancent une série de constructions d’immeubles bourgeois le long de la rue : large rez‑de‑chaussée vitré, balcons de fonte ouvragée, corniches moulurées. Les façades claires, rehaussées de pierre de taille, confèrent à la rue du Rhône un air de noblesse urbaine. Les lofts d’anciens entrepôts sont convertis en bureaux et en résidences cossues.
6. L’apogée du luxe et de l’horlogerie (XXᵉ siècle)
Dès les années 1920, les grandes maisons horlogères genevoises – Patek Philippe, Rolex, Vacheron Constantin – ouvrent leurs premières succursales rue du Rhône. L’entre-deux-guerres voit l’installation des bijoutiers et créateurs de haute joaillerie. Les vitrines éclairées, les enseignes prestigeuses et le ballet de voitures de luxe attirent une clientèle internationale, marquant durablement le caractère « shopping de luxe » de l’artère.
7. Modernisation, piétonnisation et Renaissance urbaine (fin XXᵉ–début XXIᵉ siècle)
Au cours des années 1970–1990, plusieurs campagnes de rénovation urbaine redynamisent la rue : réseaux souterrains modernisés, façades restaurées, mobilier urbain repensé. Des projets de piétonnisation partielle sont expérimentés, améliorant l’accessibilité et l’ambiance. Dans les années 2000, l’arrivée de grandes enseignes internationales (mode, maroquinerie, cosmétiques) confirme la réputation mondiale de la rue.
8. Renouveau architectural et mixité fonctionnelle
Depuis 2010, une nouvelle génération de promoteurs mise sur la mixité : tours de bureaux, résidences de standing, galeries d’art contemporain et concepts stores cohabitent. Les rez‑de‑chaussée continuent d’être réservés aux boutiques de prestige, tandis que les étages accueillent cafés-bibliothèques, bureaux innovants et appartements-laboratoires. Les aménagements paysagers, tels que les fontaines stylisées et les plantations d’arbres, apportent une touche de verdure.
9. Un symbole international du luxe et de la finance
Aujourd’hui, la rue du Rhône rivalise avec les plus grandes artères commerçantes du monde : on y trouve boutiques de haute couture, horlogerie de précision et sièges de banques privées. Son positionnement au cœur de Genève, capitale diplomatique et financière, en fait un point de rencontre privilégié pour les visiteurs fortunés et les professionnels du secteur bancaire. Plus qu’une simple rue, c’est un écrin historique où se raconte l’histoire économique et urbaine de Genève.